- ANCIENS ET DES MODERNES (QUERELLE DES)
- ANCIENS ET DES MODERNES (QUERELLE DES)ANCIENS & DES MODERNES QUERELLE DESNom donné à l’ensemble des controverses qui, ravivant un débat fort ancien (que l’on se rappelle la Deffence et illustration... de Du Bellay et les Recherches de la France de Pasquier), ont divisé, à la fin du XVIIe siècle, le monde des lettres en deux clans: les partisans — admirateurs et imitateurs — des Anciens, et les novateurs qui prônaient une littérature indépendante des modèles antiques. D’un côté, Boileau, Racine, Bossuet, La Bruyère; de l’autre, Perrault, Quinault, Saint-Évremond, Fontenelle, Houdar de La Motte. Déjà Descartes affirmait: «Il n’y a pas lieu de s’incliner devant les Anciens à cause de leur antiquité, c’est nous plutôt qui devons être appelés les Anciens. Le monde est plus vieux maintenant qu’autrefois et nous avons une plus grande expérience des choses»; et Pascal, développant la même argumentation, écrivait: «Ceux que nous appelons Anciens étaient véritablement nouveaux en toutes choses...» On retrouve là l’image traditionnelle du nain juché sur les épaules d’un géant. Invoquant le progrès des sciences et des techniques, opposant au principe d’autorité le recours au «bon sens», et à l’admiration aveugle l’esprit critique, les Modernes fondent leur argumentation à la fois sur la permanence des lois de la nature et sur la loi générale du progrès humain, pour proclamer la prééminence de leurs contemporains sur les Anciens: «La nature, écrit Perrault, est toujours la même en général dans toutes ses productions; mais les siècles ne sont pas toujours les mêmes; et, toutes choses pareilles, c’est un avantage à un siècle d’être venu après les autres»: de l’avantage, on conclut, un peu vite, à la supériorité.L’histoire de la querelle comporte trois moments principaux. La première polémique met aux prises les partisans d’une épopée nationale et d’un merveilleux chrétien, et les tenants du merveilleux païen traditionnel, en particulier Boileau qui, dans son Art poétique (1674), condamne les tentatives de Desmarets de Saint-Sorlin, auteur d’un Clovis (1657) et d’une Défense du poème héroïque (1674). La controverse se poursuit au sein de l’Académie où domine le parti des Modernes. Après quelques escarmouches qui opposent, à propos de l’emploi du français dans les inscriptions des tableaux et des monuments, les poètes néo-latins aux Modernes et provoquent de nouveaux clivages (Boileau est partisan du français), c’est à l’Académie que prend naissance, treize ans plus tard, la seconde phase de la Querelle, la plus importante: le 27 janvier 1687, on y récite un poème de Charles Perrault, Le Siècle de Louis le Grand . L’auteur ose comparer, pour le lui préférer, «le siècle de Louis au beau siècle d’Auguste». Boileau manifeste sa réprobation et répond par des épigrammes injurieuses à l’affront ainsi fait aux Anciens, tandis que La Fontaine adopte une position plus nuancée dans l’Épître à Huet . Fontenelle poursuit l’offensive (que soutiennent la majorité des membres de l’Académie, Le Mercure galant et le public féminin) avec sa Digression sur les Anciens et les Modernes (1688), tandis que Perrault entreprend la rédaction de ses Parallèles des Anciens et des Modernes . À l’Académie, les Modernes obtiennent l’élection de Fontenelle en 1691, les Anciens celle de La Bruyère (qui a pris leur parti dans son Discours sur Théophraste ) en 1693; Boileau écrit une Satire contre les femmes , Perrault une Apologie des femmes . La polémique entre Perrault et Boileau ne s’apaise qu’en 1693, grâce à l’intervention du Grand Arnauld qui, par une lettre à Perrault (qui ne parviendra d’ailleurs jamais à son destinataire), obtient, quelques jours avant de mourir, une réconciliation publique entre les deux adversaires. La querelle rebondira après leur mort, vingt ans plus tard, à propos d’Homère: en 1713, Houdar de La Motte tire de la traduction en prose que Mme Dacier avait donnée de l’Iliade (1699) une adaptation en vers dans laquelle, supprimant les longueurs et les passages ennuyeux ou vieillis, il ampute le poème de moitié. Mme Dacier proteste contre ce sacrilège dans un volume sur les Causes de la corruption du goût ; Houdar réplique. C’est cette fois Fénelon qui apaise les esprits: dans sa Lettre à l’Académie française (1714-1716), il fait des Anciens un éloge chaleureux mais nuancé, tout en invitant les Modernes à les dépasser.La portée et le sens de l’ensemble de la querelle risquent d’être masqués par les excès des uns (Perrault), par l’incompréhension des autres (Boileau). Ce qui est en jeu, ce n’est pas seulement un problème de supériorité, qui n’est après tout qu’un faux problème — surtout si l’on songe que les meilleurs écrivains du temps, ceux donc qui pourraient justifier la thèse des Modernes, sont justement les champions de l’Antiquité. «L’opposition des deux camps ne portait pas sur la valeur proprement littéraire des œuvres antiques, mais sur la réalité d’un progrès de l’intelligence et de la moralité générale» (A. Adam). Les Anciens regrettent l’innocence et la simplicité originelles et restent attachés à une «nature» dont ils trouvent dans les œuvres antiques à la fois l’image encore pure et le modèle définitif et, en politique, par fidélité à la tradition, ils sont partisans de l’absolutisme; leurs adversaires adhèrent à l’ordre nouveau, croient aux bienfaits de la civilisation qui, selon eux, a affiné les mœurs et les esprits, et à une libération prochaine de l’homme dans tous les domaines. Les plus lucides d’entre ces derniers — Saint-Évremond en particulier, auteur d’opuscules sur La Tragédie ancienne et moderne (1672) et Sur les poèmes des Anciens (1685) — prennent conscience de la nature irréductiblement historique de l’œuvre d’art, découvrent la relativité du beau, et réclament «comme un nouvel art, pour entrer dans le goût et dans le génie du siècle où nous sommes».
Encyclopédie Universelle. 2012.